Gaza, je veux te demander pardon. 

Je me souviens encore du 7 octobre 2023.
La terreur, les morts, les images insoutenables sur twitter.
A chaque heure, le compteur macabre s’affolait.
Je connais cette peur, cette sidération, je l’avais vécu à Paris à chaque fois que le terrorisme avait frappé. 
Au premières heures de la riposte israélienne, il était évident qu’elle serait terrible pour toi. 
Mais peu s’attendait à une cruauté si délibérée, à un cynisme si assumé, à un mépris aussi flagrant des lois internationales. 

Très vite, dans les médias français et la sphère politique, un soutien inconditionnel à Israël s’est installée.

Très vite, nous avons été sommés de nous taire, sommés de détourner les yeux de toi.
L’antisémitisme est un fléau qu’il faut combattre. 
Mais son accusation, en France, a parfois été utilisée pour étouffer toute critique légitime de l’injustice que tu vivais,
C’est le poids d’une mémoire lourde, celle de Vichy et de la Shoah,
Mais qui n’aurait jamais dû servir à t’écraser, toi, Gaza. 

Gaza, je veux te demander pardon. 
Pardon pour ces voix qui osent dire que ton malheur est de ta faute. 
Pardon pour ceux qui ont transformé ton combat pour la terre en guerre de religions.
Nous savons pourtant, nous les honnêtes, que ton combat est celui d’un peuple exproprié, colonisé, humilié. 

Je t’ai vue, Gaza, documenter ta propre chute. 
Je t’ai vue sur les réseaux sociaux, jour après jour. 
Tes journalistes/photographes tombant un à un, à l’instar de Fatma Hassouna dont le sourire a illuminé Cannes 2025 . 
Tes enfants blessés, hagards, amputés, mourants. 
Tes hôpitaux, écoles et maisons détruits.
Gaza, on me dit que plus de la moitié de tes enfants ont des pensées suicidaires…. savoir cela a volé toute ma tranquillité.
Et à tant de souffrance, on a osé te répondre : 
« Israël a le droit de se défendre. »

Quand nous parlions de tes femmes ensevelies, de tes enfants morts par milliers, on nous lançait en retour :
« Oui mais…. le 7 octobre. »
Et quand nous ajoutions que le 7 octobre, aussi atroce soit-il, ne pouvait justifier l’anéantissement d’un peuple tout entier,
On nous accusait alors de défendre les arguments du Hamas.
Une tentative honteuse d’assimiler toute voix critique à l’extrémiste, d’étouffer toute nuance sous le poids de la calomnie. 

Alors, nous avons tenté d’expliquer, Gaza. 
De rappeler que ton enfer n’a pas commencé en octobre 2023.
Que tu es une prison à ciel ouvert depuis des décennies.
Que tu es rationnée, humiliée, étouffée depuis bien avant que les bombes tombent. 
Mais même cette vérité, ils l’ont étouffée, et nous, trop peu nombreux, trop lâches parfois, nous n’avons pas su t’imposer dans la conscience du monde occidentale. 

Gaza, je sais aussi que nous t’avons trahi par les mots.
Dans les discours occidentaux, on répète que tu es « prise en otage par le Hamas », comme si ton malheur venait uniquement de là. 
Mais la réalité est plus complexe et ça c’est un fait rapporté par les organismes internationales. 
Oui, il y a l’autoritarisme, la peur, la répression.
Oui, beaucoup des tiens dénoncent et combattent les abus du Hamas.
Mais ce n’est pas lui qui t’assiège. 
C’est le blocus, c’est la punition collective, ce sont les bombes qui pleuvent sur tes écoles et tes hôpitaux. 
Cette vérité, claire pour tous ceux qui observent avec honnêteté, est étouffée dans l’ère de la post-vérité. 
Car aujourd’hui en France, ce ne sont plus les faits qui comptent. 
Ce sont les polémiqueurs et les propagandistes qui dictent le récit. 
Et ils préfèrent faire de toi, Gaza, une caricature, plutôt que de regarder ta réalité en face.

Gaza, la voix du grand-père de Rim résonne encore dans ma tête.
« L’âme de mon âme », l’appelait-il, en serrant son petit corps contre lui. 
Elle avait trois ans, Gaza. Trois ans, cette petite fille. 
Je me souviens aussi de cette femme enceinte, bombardée sur le chemin de l’hôpital. 
Son enfant est né, par césarienne, avant de mourir quelques heures plus tard.
Gaza, je t’avoue, à un moment, la culpabilité et l’impuissance étaient trop lourdes, alors j’ai détourné le regard. 
Je dois aussi te dire que j’ai réécrit ce texte une vingtaine de fois, tellement de fois qu’il n’a peut-être plus beaucoup de sens. J’ai passé des heures à faire des recherches afin de n’égarer personne avec mon texte, afin de n’ inciter personne à la haine.
A l’heure où je t’écris, Gaza, une mère est en train d’enterrer ses neuf enfants. 
Comment est-ce possible, Gaza ? 

Au collège, j’ai participé au Concours national de la Résistance et de la Déportation. 
Une des question qui me hantait était : 
Comment un peuple a-t-il pu laisser faire cela ? 
J’ai trouvé un début de réponse chez Robert Paxton : 
Les français n’étaient ni résistants, ni collaborateurs, ils étaient veulent et attentistes. 
J’ai peur de te dire, Gaza, que j’ai fait partie de celle foule là.
De ceux qui ont doucement manifesté dans les rues de Paris,
qui ont posté quelques stories sur instagram,
sans réel impact, je le crains. 
J’aurais pu faire plus,
J’aurais dû faire plus. 

Je veux te demander pardon, Gaza.
Pardon pour l’indifférence et l’hypocrisie.
Quand l’Ukraine fut attaquée, les condamnations furent immédiates, unanimes.
Les sanctions furent fortes, rapides, légitimes.
Toi, Gaza, tu n’as eu droit qu’à l’abandon.

Je veux demander pardon aussi,
au Soudan, à ses massacres invisibles..
Au Congo, aux milliers de morts étouffés sous les chiffres.
Au Myanmar, aux Rohungyas persécutés sous l’indifférence.
A tous ces peuples dont les cris se perdent, car ils n’ont pas le visage qui rassure l’occident. 

Gaza, nous sommes nombreux à ne pas t’avoir oubliée.
Nous, la jeunesse, on n’oubliera pas.
Nous écrirons ton nom dans nos livres, dans nos mémoires, dans nos textes.
Nous rappellerons ce silence complice.
Nous rappellerons cette obstination à faire commencer ton histoire en octobre 2023,
en effaçant la Nakba, la colonisation, les humiliations.

Ils parlent d’équilibre pendant que ton équilibre est brisé.
Ils parlent de débats académiques pendant que tes enfants meurent.
Gaza, je veux te demander pardon.
Et je te fais la promesse :

Après le feu, la terre se régénère toujours.
Tes enfants recourront un jour dans tes rues.
Les odeurs de la maqlouba, des manakish, et de la knafeh flotteront à nouveau dans ton air.
Et la paix reviendra, Gaza.
J’en suis certaine.

4 commentaires

  1. Thiouks Alchimiste

    Tu me rassures ✊🏽

  2. Que c’est bien dit ! Incontestablement, il est urgent et nécessaire de se dépêtrer de cette spirale de violence où la mort est l’unique devenir. Poursuivrez la résistance….. Merci.

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